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VIVANTS PARMI LES VIVANTS

 

CACHEZ-MOI CE SINGE QUE JE NE SAURAIS VOIR

Nous sommes voués aujourd’hui, plus que jamais, à prendre soin de toutes les formes de vie avec qui nous partageons notre vieille planète, nous sommes tous coloca-Terre.

 

« Si on ne se pense plus comme des humains face à la nature, mais comme vivants parmi les vivants, on ne protège plus la nature comme altérité-sauvage, ni la nature comme altérité-ressource fragile : on défend la communauté des vivants dont nous sommes des membres, et qui nous maintient en vie et qui nous faits. » Baptiste Morizot

 

Depuis Charles Darwin et L’Origine des espèces, nous savons que nous sommes le fruit d’une longue évolution du règne animal. En resituant l’homme ainsi, Darwin attesta qu’il n’existait qu’une différence de degré, et non de nature, entre l’homme et l’animal : l’homme est un grand singe.

 

Pourtant, au cours de son évolution culturelle, l’homme préféra faire sécession : il s’éleva au rang de maître des créatures animales qui l’entouraient et s’attribua une âme immortelle, invoquant une origine divine qui l’autoriserait à rompre le lien avec le monde animal.

 

Alors l’homme massacre assidûment, dévaste tout sur son passage et scie allègrement la branche sur laquelle il est assis, celle du vivant.

 

« Nous sommes les drogués d’un destin jamais pensé dont nous faisons mine d’être les maîtres. »

Jacques Testart

 

Nous sommes prisonniers de ce programme funeste, et conditionnés pour le servir et l’aimer.

Mais, face à la catastrophe, le bonheur promis par l’hypermodernité laisse progressivement place à un sentiment de grand malaise et de perte de sens.

 

En s’éloignant de la source, en se coupant de ses racines, l’homme se met en totale dysharmonie.

Il détruit ainsi une part de lui-même et va peut-être bientôt à sa perte.

 

REVENONS SUR TERRE

Il est urgent de se reconnecter à ce que nous sommes fondamentalement, de réactiver notre sensibilité et notre reconnaissance envers tous les êtres vivants, de cultiver une « cosmopolitesse »*.

 

L’homme cherche une vie intelligente ailleurs dans l’univers alors qu’elle existe sous des formes exceptionnelles sur Terre, parmi nous, sous nos yeux, mais discrète d’être en partie muette.

Il est temps d’atterrir, il est temps de revenir sur Terre.

 

Petit à petit notre aptitude à percevoir s’est appauvrie, nos sens se sont atrophiés, nous avons perdu notre capacité à nous émerveiller du miracle de n’importe quelle existence et même de simplement regarder ce qui nous entoure. Or, plus nous nous coupons du vivant, plus nous le voyons disparaître avec indifférence.

 

8 millions de tonnes de plastique sont jetés en mer par an / 70% des animaux vertébrés ont disparus en 45 ans, 95% en Amérique du Sud / 80% des insectes ont disparus en 30 ans / 3.2 millions d’animaux d’élevage sont abattus par jour en France / 95% des cochons élevés en France ne voient jamais la lumière / 3.5 milliards d’humains sont désormais « très vulnérables » aux catastrophes naturelles / 1 milliard d’humains sont menacés par la montée des eaux d’ici 25 ans / 25% des morts prématurées et des maladies dans le monde sont liées à la pollution, etc.

 

Ces chiffres terrifiants sont certes nécessaires mais ils n’émeuvent pas, ils assomment.

Savoir ne suffit pas car les chiffres sont secs, ils ne parlent pas au cœur, or nous ne protégeons bien que ce que nous avons aimé, ce que nous avons éprouvé par les sens : notre sensibilité au vivant a un lien direct avec la question de notre action pour le défendre.

 

La sensibilité étant une intelligence relationnelle, c’est à chacun de la nourrir, de la muscler, de l’expérimenter dans ce terrain d’aventure si vaste qu’est le monde, pour tenter de remettre les consciences en mouvement.

 

* néologisme inventé par Baptiste Morizot et Alain Damasio, pour signifier ces égards portés envers toutes les formes de vie que nous devons retrouver, voire inventer

 

 

DEMARCHE : CELEBRER LE VIVANT

A mon petit niveau, je revendique et souhaite réanimer ce sentiment d’appartenance au règne de tous les vivants, réveiller ce lien profond entre nous et l’ensemble de ce qui vibre, sortir de cet entre-soi humain.

L’obsession de la « mêmeté », de l’identité est mortifère car rien n’est plus le même que la mort.

 

Renouer avec des récits plus incarnés et mieux distribuer les rôles entre animaux, humains et végétaux,

il est essentiel que notre imaginaire s’y intéresse car seule l’imagination rend les choses signifiantes.

Repeupler nos pensées et nos rêves de forêts, de loups, de flamants roses, de calamars géants…

 

DE VERITABLES PORTRAITS

Chaque animal est singulier donc irremplaçable, il a sa personnalité, son savoir, son expérience… avec lesquels il construit son monde propre.

 

En établissant ce face à face de l’homme et l’animal, je tente de toucher un instant le spectateur qui, peut-être, a oublié l’origine animale profonde qui ne cesse de se débattre en lui.

En détournant l’homme de sa vision anthropocentrique du vivant, j’aspire à instaurer un nouveau dialogue avec les bêtes et par-là même l’inviter à reconsidérer le regard qu’il porte sur lui-même.

 

Nous regardons les animaux et les animaux nous regardent…

L’animal observe le spectateur pour établir un contact, rendre palpable la relation qui nous lie à lui, et c’est notre regard d’humain que nous finissons par interroger.

 

Désormais, plus que jamais, l’animal nous regarde et nous sommes nus devant lui.

Nous ne pouvons nous dérober, ce regard de l’animal qui nous voit le regarder nous donne à voir alors l’inhumain.

 

C’est bien cette expérience que je veux retranscrire : un animal rencontré nous traverse de son regard et c’est toujours déconcertant car ce regard trouble les frontières, questionne nos certitudes et met à mal notre supposée humanité. Ce regard nous ne pouvons le soutenir, nous faisons tout pour le refouler car notre position est indéfendable.

 

L’accueil de ce regard pose problème dans nos sociétés actuelles car il nous oblige à un renversement culturel, à un changement de paradigme, à une remise en cause de notre modèle économique reposant sur la course effrénée aux profits (de quelques-uns) et sa logique productiviste/consumériste outrancière et dévastatrice.

 

Nous regardons les animaux et les animaux nous regardent… Autrement dit, pour autant que nous partageons l’espace terrestre, ce qui arrive aux animaux nous regarde.

 

Ils nous regardent droit dans les yeux et nous ne pouvons plus regarder ailleurs.

Nous comprenons instinctivement qu’ils en savent plus que nous, qu’ils sont dépositaires d’une mémoire ancestrale qui nous dépasse. Que se pense-t-il donc derrière leurs regards ?

Et s’ils nous répondaient ?

Sont-ils heureux ou malheureux ? Et nous, s’ils nous questionnaient : heureux ou malheureux ?

 

En nous engageant pleinement dans ce vis-à-vis, les animaux nous rappellent que cette vie-à-vie nous intègre, elle nous met au monde et nous anime. A mieux les considérer, les bêtes et autres vivants réveillent notre humanité en permettant de retrouver en nous ce paradis que nous avons perdu.

 

D’AUTRES FIGURES DU VIVANT

Elles rendent hommage à l’extraordinaire diversité des formes de vie, prodigieusement inventives, qui peuplent notre planète et participent quotidiennement à la rendre habitable.

 

Il y a ceux qui rampent, ceux qui sautent, ceux qui nagent, ceux qui grimpent, ceux qui volent, ceux qui poussent et s’enracinent… chaque usage, chaque palpation du monde formant comme un monde.

 

Comment ne pas être émerveillés devant cette multitude de corps bariolés qui interagissent sans cesse et trament leurs récits ?

 

Ce qui suscite l’intérêt et éveille la curiosité, ce qui enrichit c’est de côtoyer du très différent, alors peut-être faudrait-il cesser de guetter nos ressemblances - comme avec les humains, élargissons notre propre espace pour gagner un monde plus vivace et plus éclatant. Le danger du huis clos, par-delà le narcissisme, le fade et l’ennui, c’est bien de manquer d’air et de périr d’asphyxie.

 

Ce grand répertoire de créatures singulières, cette déclaration d’existences, est une invitation à mieux les accueillir dans nos vies et dans nos imaginaires vivifiés, une incitation à vagabonder, contempler, se laisser surprendre et enfin mieux respirer.

 

 

PROCESSUS CREATIF : PERCEVOIR, SAISIR ET DONNER FORME, REVELER

L’image m’apparaît le plus souvent comme un flash, parfois elle survient en pleine nuit.

 

Je retranscris sans tarder cette apparition sur papier, sous forme de croquis approximatif.

 

A partir de là je sais déjà quelles vont être les dimensions du sujet, je cherche donc le bon support au format le mieux adapté. Il s’agit souvent de rondins, planchettes en bois naturel contre-plaqué, chutes de bois divers et de terre cuite, mais aussi plus classiquement de toiles de lin enduites.

 

Je mets en ordre ma vision initiale en la construisant directement à la bonne échelle sur papier quadrillé, au crayon avec règle et compas. Je fais évoluer mon portrait ou autre création jusqu’à ce que je puisse retrouver l’impression première du flash, cet instant fugace mais bien assimilé.

 

J’aime ce moment privilégié où plus rien n’existe autour de moi, et presqu’en moi… comme si je devais faire un grand ménage intérieur pour faire place nette à mon visiteur.

Je me concentre, j’essaie de capter tous les signes pour qu’il puisse repointer son nez, ou plutôt son museau, ses antennes, ses branchies, ses stomates…

Je me mets en disposition d’accueil, un peu comme dans la nature, pour vivre l’évènement de l’apparition et la grâce de son attente.

 

Le dessin peut rapidement prendre forme avec des contours bien précis, à peine commencé et il est déjà achevé, l’animal ou autre se dévoilant immédiatement.

Celui-ci peut aussi apparaître plus ou moins sommairement, nébuleux, un peu brouillon, il n’est sans doute pas encore prêt… ou, plus exactement, je ne suis pas prête à le recevoir.

Et parfois rien arrive, le moment n’est pas propice et il faut l’accepter.

 

Le « tableau » commence à avoir sa propre vie à l’application des couleurs.

J’ai toujours une idée a priori des principales teintes que je vais employer, mais cette intention initiale évolue en peignant, en entrant progressivement en résonnance avec mon sujet.

 

Cela prend du temps, je pose la peinture, la laisse reposer, la regarde longuement et y reviens.

Je reprends certaines couleurs, et ce va-et-vient continue jusqu’à ce que la vibration soit bonne.

 

La fin est toujours une intime évidence, je suis parvenue à rendre visible mon invisible, empruntant parfois un cheminement lent et tortueux mais au bout du parcours la rencontre a bien eu lieu.

A cet instant précis du dénouement, je ressens profondément que quelque chose m’échappe.

 

L’image mentale originelle, le flash, s’est révélée telle une photographie argentique prise sur le vif qui apparaîtrait une fois immergée dans le bain chimique, le révélateur.

Petit à petit mon image intérieure a pris forme, s’est précisée puis exprimée… et c’est toujours avec émotions, joie et surprise, de la découvrir « en vrai », au-delà du souvenir de son passage, de son empreinte. Quand l’imaginaire rencontre le réel.

 

Il en résulte invariablement une forme constituée d’aplats colorés qui se détache d’un fond brut ou uni, la saillance de cette forme significative comme figure animale, plus rarement végétale, étant là pour elle-même, en premier plan, singulière et souveraine.

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